Poème

Le Dialogue des Alphabets

Michel Butor

pour Mohammed Mourabiti

Éternellement derrière

la sphère des astres fixes

ou au centre de la Terre

dans le point ou la lumière

est la nuit la plus profonde

le discours se perpétue

continuant la création

Toujours des propos nouveaux

germant en champs de surprises

car les cieux eux-mêmes changent

la Terre qui nous semblait

l'immobilité suprême

roulant dans la voie lactée

en complexes cycloïdes

De gauche à droite ou de droite

à gauche et de haut en bas

ou de bas en haut tournant

autour de dômes funèbres

images des cieux anciens

avec leurs astres errants

distributeurs d'influences

Ainsi tombe la rosée

des langues et caractères

d'un bout à l'autre du monde

qui depuis longtemps n'a plus

ni de centre ni de bout

en des piscines de textes

où nous lavons nos savoirs

Après les révélations

l'inspiration brûle encore

indéfiniment ouverte

croissant comme végétaux

explorant comme animaux

flairant et multipliant

dans l'invention d'un Éden

Perdu depuis tant de siècles

et qu'il faut reconstituer

en changeant toutes les pièces

pour accueillir notre foule

dans l'espace fourmillant

où la musique reprend

l'antérieur et son futur

Silence et cri songe et veille

les inscriptions se rencontrent

dans l'immensité liquide

des essais et des questions

volcans de la profondeur

éparpillant étincelles

en paradis de l'étude