Texte

Maintenir l’équilibre précaire, la légèreté de la peinture et le ton unique

Gustave de Staël

La joie indicible de voir, une fois de plus, quelqu’un s’aventurer dans l’espace de la peinture, s’y tenir avec une sobriété de moyens et donner les preuves d’une nouvelle profondeur. Cela souligne à quel point, par la mobilité de son esprit créatif, Mourabiti est le contemporain des questions essentielles que se posent les peintres aujourd’hui.

L’enchaînement de voir l’aventure de la peinture se poursuivre, précisément à partir de ce lieu retiré où il a décidé d’installer son atelier. Dans cet endroit les gestes et les signes d’une vie ancestrale se trouvent au cœur des problèmes picturaux. Faire vivre la peinture dans ce creuset ne va pas sans rencontrer le passé et y accorder son propre sens de l’espace.

Mourabiti a choisi d’inscrire sa peinture dans un mouvement libre, de tradition abstraite où l’on sent la plongée des couleurs et de la manière dans une profondeur marocaine.

Exister dans ce lieu par la peinture relève d’un privilège que le ciel n’accorde qu’aux silencieux. Il arrive que l’espace leur ouvre tout grand les bras et leur permette d’y voler.

Notre peintre a décidé d’être plus sobre encore, de s’en tenir à une palette nourrie de peu de tons, par delà les blancs et les noirs, afin de serrer au plus près son objectif.

Quel « en-soi » ne faut-il pas pour s’abstraire de la force de la nature qui nous entoure, quel monde de plénitude, ne possédons-nous pas alors pour tenir devant la force implacable de la beauté ! Quelle plongée dans les noirs de la palette! Quel rapport étroit à l’histoire de l’humanité ne faut-il pas pour avancer d’une foulée continue tout en gardant sa propre mesure ! Est-ce de buter ainsi sur nos limites qui nous incite à donner toujours plus de profondeur, de la charpente à l’histoire que l’on tente de raconter?

Comment ne pas voir le caractère essentiel de ces éléments qui jonchent le sol et forment le paysage. Eléments que l’on retrouve en formes suspendues dans les peintures de Mourabiti où l’espace de la toile semble confondre le plan d’une nature morte et celui d’un paysage. Comment ne pas prendre leçon de ces matériaux rudimentaires qui se répondent dans l’air de la toile, frères des pigments incandescents qui gisent sur la palette du peintre.

On dit qu’il habite à l’écart du monde, à proximité des montagnes nues et saillantes. Est-ce du haut des sommets de l’Atlas que s’élancent par taches et à-plats les blancs de ses peintures ? Parfois il semble neiger à l’aplomb des noirs qui retiennent ses tableaux.

Est-ce désert ou plutôt des endroits troubles de la rue d’où remontent certains bruns rompus.

Ces tableaux tiennent à la fraîcheur avec laquelle la peinture introduit les formes, les propose de front, les fait vaciller, en découpe l’espace et continue d’aiguiser une nudité qui laisse la question grande ouverte et les couleurs toutes à leur révélation.

Ce qui meut de sa peinture est une fragilité qui anime la source de ses infinis rebondissements. Dans cette peinture sourd une étrangeté liée au caractère du pays, à ses matières mêlées, souterraines. A y regarder de près on réalise qu’elle tire ses origines de ces ombres incertaines et sombres qui ont été fécondes dans l’imaginaire des peintres du Maroc.

La peinture semble nous dire : « ici, loin de tout, dans ce paysage sec, à la beauté vertigineuse comment ne pas laisser affleurer sur la toile les hésitations, laisser libre cours à la sensibilité du trait. Comment ne pas saisir les formes avec une désinvolture apparente, avant que d’être écrasé par tant de beautés lumineuses ? »

Créer un monde clos et plein, laisser des traces de peinture, dans ce pays où elle est partout, ici et là, sur les murs, les portes et jusque le tronc des arbres. Pays si grand par l’imagination de la main qui s’inscrit partout.

C’est parce que quelque chose n’est pas posé « définitivement » dans ce beau Maroc qu’il reste la toile de fond des artistes peintres. Que la tente est encore sous jacente à la maison, que tout peut être changé très vite, que grâce à cela l’esprit peut ouvrir des champs libres et continuer à se déplacer sur les chemins de la créativité.

Gustave de Staël

Directeur de l’institut Français du Nord

juillet, 2007