Texte

Résistance

Souné Prolongeau-Wade

« Au fond du bleu, il y a le jaune

et au fond du jaune, il y a le noir,

du noir qui se lève

et qui regarde,

qu’on ne pourra pas abattre comme un homme

avec ses poings »

Guillevic

Dans le creux d’un vallon sur lequel flotte le parfum des olives d’un pressoir voisin, Mourabiti construit, loin vacarme urbain, une œuvre attachante et très personnelle.

Avec une grande liberté et une extrême maîtrise des matières et de l’espace, il nous offre sa vision en mouvement d’un monde, le nôtre, dont les repères traditionnels à peine suggérés, sont peu à peu éradiqués par l’intrusion de la « pensée unique ».

Finie l’époque où l’œil se posait sur la courbe souple d’une coupole, vagabondait sur les toits vernissés des palais et les joyeuses terrasses des médinas, se désaltérant au passage, de l’ombre d’un bouquet de palmiers. Une forêt d’antennes griffues a désormais interposé son tapis de barbelés entre l’horizon et nous. Ces « râteaux » qui apportaient une ou deux «chaînes » - prémices de notre prison mentale - auraient fini par trouver une certaine poésie: plantés au bout de perches incertaines, vacillant sous l’assaut du vent, rouillés par la pluie, ils finissaient par servir de perchoir aux tourterelles et moineaux, se déglinguant au fil des tempêtes. Pour un peu on serait ému l Mourabiti, avec un solide humour, n’hésite d’ailleurs pas à faire parfois fleurir une rose, futaille de fer emmêlé, au sommet d’une antenne, transformant malicieusement le mausolée dont elle jaillit en gros insecte somnolant. Mais il ne faut pas s’y fier…

A ces antennes fragiles, on substitua la « parabole ». Pas celles des évangiles ! Mais cette courbe, dit le dictionnaire, qui décrit un projectile lancé dans le vide. Nous voilà loin du monde sensible, fut-ce celui des insectes !

Les antennes nous permettaient au moins de préserver un certain périmètre d’autonomie.

Désormais, place aux paraboles désormais aux 500 bouches, étalant leurs corolles d’un blanc clinique sur nos toits transformés en porte-avions militaires.

Au milieu de ces champs de bataille, Mourabiti met en scène, avec beaucoup de tendresse des fragments de résistances de nos repères familiers : créneaux décollés de leurs remparts, morceaux de stores rayés, ocre des murs d’une ville autrefois chantée par les poètes…

Et l’homme dans tout çà ? Dissous, on ne le trouve plus, au hasard d’une toile, qu’au sein de groupes compacts, anonymes, que Mourabiti extrait de vieilles photos qu’il glisse subrepticement entre les murs d’un aratoire.

Libre, joyeux, le pinceaux de Mourabiti danse sur la toile, s’envole, et nous dit sans pathos cette réalité : celle d’un monde qui se défait…et se défend. Car Mourabiti, homme généreux et heureux de vivre, n’annonce pas l’Apocalypse. Il nous dit juste que la lumière est là, mais que le goudron le cerne, que la vie est là, mais que nous pourrions l’habiter autrement.

Avec audace et lucidité, à Tahnaout, au pied de l’Atlas enneigé, Mourabiti résiste et fait le pari d’un monde encore vivable. Entre rêve et réalité, rieur et précis il mêle ses pigments et s’élance à la conquête de l’espace de nos défaites et de nos espoirs..

Souné Prolongeau-Wade