Texte

Soliel noir

Edmond Amran El Maleh

Sauf erreur de ma part, on peut dire que Si Mohammed Mourabiti inaugure un nouveau périple dans son activité comme dans sa vie dont un aspect essentiel, inséparable de sa personnalité, est notamment consacré à la peinture et aux manifestations qui s’y rattachent. Périple récent sous le signe du questionnement et du tourment, aussi bien dans ses propos que dans sa pratique. Nous avons eu de longues conversations, notamment lors d’une première visite à l’Atelier en vue de prendre connaissance des travaux destinés à être exposés. Une fois de plus, comme s’il était nécessaire de le redire, on se trouve confrontés à cette difficulté insurmontable à partir du moment où l’on a à parler peinture en évitant les avatars de ce que j’ai appelé, à mes risques, la mécanique rouillée de la critique d’art.

Echange de parole, ce que me dit Si Mohammed, tandis que mon regard s’attarde devant ces grandes toiles qui seraient comme de véritables fresques surtout quand on s’y immerge peu à peu. Il m’est arrivé spontanément devant une très belle toile de lui donner le titre Soleil noir, alors que Si Mohammed n’en donne pas. Cette dominante noire de l’ensemble des travaux serait comme emblématique de son œuvre récente. Pareillement l’attention est retenue par le fait qu’au haut de chaque toile, comme un collage, figure le plus souvent une bande comme une mosaïque de petits bouts de papier de journaux comme autant de confettis, de couleurs vives. Je ne crois pas me tromper, concernant ce collage, mais cela figurerait comme un ciel en raison de sa position en haut de la toile. Nous en arrivons à l’essentiel, à l’âme, pour ainsi dire de l’œuvre.

Lui aussi n’a pas échappé à la fascination du Darih, cet enracinement, cette vérité existentielle. Mais cela se loge au coeur même de toute son œuvre, à commencer par les travaux récents destinés à la présente exposition. On pourrait se laisser séduire par celle ludique qui se déploie autour de figures de géométrie de la verticalité à la courbe. On est tenté de penser qu’il y aurait là, par le jeu de figures géométriques comme le récit de la naissance d’un darih à partir des éléments constitutifs de toile en toile, ces fresques par leur dimension. C’est en ce sens, je crois, que Mourabiti évoque le mot d’écriture en parlant de sa peinture. Mais il y aurait là comme un langage double. Il y a d’un coté les intentions, le projet qui va se traduire en œuvres, l’oeuvre soutenue, dictée pour ainsi dire par une conception, une vision première des valeurs et de la pratique de la peinture. Je peux dire qu’il a en ce domaine une riche expérience ce dont je m’assure tout au long de ces conversations que nous avons ensemble bien souvent. Et de l’autre côté il y a l’ordre des valeurs de la création esthétique, ce qui se donne à voir en cette belle exposition. D’emblée, et sans préjuger de tout autre jugement, on peut dire qu’il signe une place à part parmi nos peintres et ce d’une originalité certaine. C’est aux pieds de la toile, et pas seulement du mur qu’on juge qu’on établit cette relation singulière exclusive avec ce qui donne à voir, déborde le cadre de l’encadré et qu’alors on fait une partie du chemin en compagnie du peintre, on le suit à s’y perdre ; c’est tout juste si par une subtile aliénation, on en vient à croire que c’est soi-même qui serait à l’origine de cette peinture. C’est dire que présentement ce travail maraboutien invite à la réflexion et à une sorte de plaisir convivial

Edmond Amran El Maleh